Alou joue sous la moustiquaire
Série « Chambres maliennes », n° 23
Mohamed Camara, 2002-2003
Certains matins, je vois ma chance qui me tend toujours la main
Série « Certains matins », n° 54
Mohamed Camara, 2005
Ce sont des moments. C’est ainsi que j’expliquerais ma pratique photographique et ce que certains appellent « poésie ».
Ce qui est sûr, c’est qu’à travers mes images, je montre ce que j’aime ; et toutes mes photographies, je les aime.
IL Y A, DANS LES « CHAMBRES MALIENNES », UNE SORTE D’HISTOIRE.
C’EST LA NOSTALGIE QUI A CONSTRUIT L’IMAGE.
LA POÉSIE DES IMAGES
Q Nombreux sont les commentaires sur votre travail qui qualifient vos images de « poétiques ». Qu’est-ce qu’une image poétique selon vous ?
MC Je ne sais pas, ce que c’est, qu’une image poétique ! Mais je sais, que ce que je fais, c’est ce que je n’arrive pas à dire. C’est ce que je fais en images. Si c’est poétique… peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’à travers mes images, je montre ce que j’aime ; et toutes mes photographies, je les aime.
Q Vous avez dit que vous faîtes de la photographie pour exprimer des choses que l’on ne peut pas dire avec les mots ; or, vos titres sont très expressifs.
MC Oui, il y a toujours une pensée derrière mes titres. Chaque matin, ma sœur montre quelque chose qui est étrange. Il y a, dans les « Chambres maliennes », une sorte d’histoire. J’aimerais lui offrir des fleurs, mais elle est endormie. Oui, cela tombe sur un moment où j’ai voulu entrer comme ça dans une chambre, où j’ai voulu parler à une fille que j’aime, mais je n’ai pas pu. Peut-être que c’est ça. Et c’est ce que j’ai pu montrer dans l’image. Ce sont des moments. C’est ainsi que j’expliquerais ma pratique photographique et ce que certains appellent « poésie ». C’est toujours lié à un manque. J’ai une petite fille, par exemple. Parfois, elle me manque – même si elle est là. J’arrive alors à faire une photo d’elle pour combler ce manque-là. C’est ce qui va donner une sorte d’« image poétique ». C’est la nostalgie qui va avec l’image. C’est la nostalgie qui a construit l’image.
NE DÉFENDRE LA CAUSE DE PERSONNE
Q Quel est d’après vous le rôle de la photographie ? S’agit-il de changer la société par exemple ? L’engagement politique du photographe vous semble-t-il important ?
MC Beaucoup de sujets politiques m’intéressent, mais ne sont pas les sujets de ma photographie. Je ne suis pas hypocrite. Tout sujet intéressant, tout sujet qui nous parle n’est pas une raison suffisante pour en faire des images. Il y a beaucoup de sujets d’actualité par exemple que je ne souhaite pas montrer. Je préfère montrer le côté gai de la chose. La joie. Faire plaisir aux gens. Pour vous donner un exemple : on m’avait contacté pour faire un travail sur les Maliens à Paris. J’aurais pu dire oui, mais photographier ceux qui sont en difficultés, même si j’ai toutes les autorisations, celles des personnes, celle de la mairie, etc., je pense que ce n’est pas mon rôle. Ce n’est pas à moi de montrer ceux qui souffrent à Paris. Cela doit se passer autrement. Passer par d’autres canaux que mon appareil-photo. Les sujets sur lesquels je travaille, ne sont « sur » personne. Je travaille juste pour moi. Pas pour une cause, ou pour les autres. Juste ce que j’aime.
UN SUCCÈS CRITIQUE
Q Vous avez un succès critique en Europe et dans le reste du monde. Comment percevez-vous votre réception hors du Mali ? Quelles sont les structures qui vous permettent de voyager ?
MC En Europe, j’ai eu de bonnes critiques. On me compare toujours avec d’autres moments de l’histoire de l’art. Certains mentionnent la peinture hollandaise du 17e siécle. D’autres parlent de Bernard Faucon et de ses « Chambres d’amour ». Sans les galeries, je n’aurais pas cette reconnaisssance et cette visiblité. J’ai une galerie à Stockholm et puis j’avais une galerie à Paris. A Bamako aussi, mais elle a fermé. J’ai eu des propositions pour rentrer dans une galerie à Dakar, mais cela ne s’est pas fait finalement. J’ai reçu des bourses pour aller au Sénégal et en Afrique du Sud. Je devais aller au Congo, et puis finalement, c’est tombé à l’eau.
Q Vous sentez-vous libre dans votre pratique de photographe ou bien sentez-vous la pression du marché et des galeries ? Du fait de votre succès…
MC Je fais ce que je veux. On me laisse tranquille. Je ne me mets pas la pression. Quand je n’arrive pas à faire quelque chose, j’arrête tout de suite. Des fois, je suis inspiré, je fais plein d’images, et d’autres fois, comme tout le monde, je n’arrive à rien faire.
Q Quels sont les artistes qui vous ont inspiré ? Avez-vous des modèles pour vous orienter ?
MC Pour m’orienter ?
Q Oui, une œuvre qui vous aurait particulièrement marqué.
MC Si je dis non, c’est méchant ?
Q Non.
MC Et bien c’est non. J’apprécie des artistes maliens, et africains, européens ou américains, mais je ne peux pas dire que j’ai eu le déclic en voyant le travail d’autres photographes ou d’un photographe en particulier. Je préfère rester vierge de toute influence, de peur de faire la même chose. Donc du coup je suis plus libre si je ne vois pas le travail d’autres photographes. D’ailleurs, ma liberté, c’est ce que les gens apprécient chez moi en général.
Q La Biennale de Bamako a changé de nom il y a plusieurs années. Après les « Rencontres de la photographie africaine », la Biennale a pris le nom des « Rencontres africaines de la photographie ». Que pensez-vous de ce changement ? Que pensez-vous du terme « photographie africaine » ? Vous sentez-vous « photographe africain » ? Est-ce important pour vous ?
MC Je me sens photographe africain, ça c’est sûr. Je n’avais pas de problèmes avec le premier nom de la Biennale. Le second nom veut être moins polémique. Plus poli.
Interview réalisée à Bamako, Point Sud (Torokorobougou), 10. 02. 2011
Par Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Moritz Thinnes
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